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QUAND J’ÉCOUTE LES COULEURS

Vous avez remarqué qu’à cette période de l’année, les couleurs semblent être presqu’irréelles ? On dirait que tout est passé chez un artiste peintre pour bien paraître pour l’été. Comme nous passons chez le coiffeur, comme nous ajoutons un peu de nouveau à notre garde-robe, la nature se magasine un tableau naturel et s’habille pour une soirée de gala en notre honneur. La charmante !


Ma mère célèbre les couleurs presque tous les jours. Bien qu’elle soit une femme assez sobre dans son choix vestimentaire, elle compte sur les couleurs pour faire vivre l’intérieur de sa maison et surtout, son terrain.


Il y a deux jours, elle me parlait de son voisin, M. Hébert. Un homme retraité, comme elle, vivant seul avec son chien. Au début, je croyais qu’elle avait un petit béguin pour lui. Elle me connait, ma mère. Elle savait bien à quoi je pensais quand elle a vu ce petit sourire en coin et mon air de gars qui se demande si ce nouveau beau-père serait assez bien pour ma « fraîche-pète » de mère… Elle m’a coupé l’imagination assez rapidement. Pas question pour elle d’avoir quelqu’un dans sa vie ! Ses fleurs, sa terrasse et la belle vue sur la rivière, c’est tout ce qu’il lui faut pour être heureuse ! Ses yeux sont ravis, sa vie est remplie ! Puis, elle nous a, nous, ses enfants et petits-enfants! Dit-elle, avec une grande fierté. Depuis plusieurs années, nos cadeaux de fête, de Noël, ou peu importe, ont tous un seul et unique thème; La couleur ! Des fleurs comme cadeau d’hôte ou hôtesse, des savons colorés, des paniers de fruits, tous des cadeaux plein de couleurs, oui, mais aussi qui inspirent le bien être, la paix, la détente et le bonheur.


Mais revenons à M. Hébert, son voisin… Ma mère me demande, comme pour jouer à un jeu, en prenant notre café dehors, d’essayer de me le décrire. Elle sait que je le connais à peine, mais comme je vous dis, ma mère accorde beaucoup d’importance à la vue, les images, les couleurs, de même qu’à la perception que les gens ont sur les autres. On a souvent joué à ce jeu ensemble. Donc, je me lance. Comment je vois M. Hébert et son chien, qu’il a appelé Lucien, en hommage à son parrain, parait-t-il. Donc, Ils discutent souvent ensemble, ma mère et lui, et je dois avouer que ça me rassure de le savoir tout près de chez elle. C’est un sacré gaillard ! Environ 65 ans, il doit mesurer au moins 6 pieds 2, bâtit comme une armoire à glace, mais doux comme un agneau. M. Hébert promène son chien plusieurs fois par jour. Un gros berger anglais. Un toutou sans malice, qui a toujours l’air de bonne humeur. M. Hébert aussi, d’ailleurs ! On dirait qu’ils se ressemblent ces deux-là ! Ils ont presque la même démarche. On les voit de loin, sur le bord de la rivière. M. Hébert lui parle sans arrêt, lui montre plein de choses. On l’entend rire de loin, comme s’il racontait de bonnes blagues à son grand copain.

M. Hébert vient de la Gaspésie et à cette panoplie d’expressions savoureuses qui me font tordre de rire à chaque fois. C’est le genre d’homme qui s’intéresse à ce que vous dites et qui termine toujours ses phrases comme s’il posait une question. Mais comme je vous le mentionnais plus haut, je ne le connais pas très bien. Alors j’ai regardé ma mère avec un air interrogateur qui mettait un terme à ma partie du jeu.

Pendant que je parlais, elle regardait la rivière et l’autre rive, en acquiesçant à plusieurs de mes affirmations. Puis, lorsque j’ai terminé, elle a continué de regarder la nature, ses fleurs, le ciel, en inspirant profondément. Comme si elle absorbait non seulement les bons parfums du décor environnent, mais aussi ses bonnes énergies et ses millions de couleurs.


Puis, elle me dit : « Tu sais, M. Hébert, ça ne fait pas si longtemps qu’il a son chien. Ça doit faire environ 3 ans. Un an après la mort de Denise, sa femme. Imagine, ça faisait pas loin de quarante ans qu’il la guidait, qu’il lui décrivait tout en détail. Grâce à lui, elle a tout vu malgré sa cécité. Elle pouvait te décrire le paysage derrière chez-elle aussi clairement que tu le vois. Tu me trouve tannante peut-être, avec mes couleurs, mais je les trouve tellement importante… Puis un jour, M. Hébert est allé dans un refuge avec sa fille qui cherchait un chien pour son fils de 6 ans. Ce jour-là, La fille de M. Hébert est repartie avec un chiot beagle et M. Hébert est revenu chez lui avec le vieux berger anglais de 12 ans, aveugle. Personne ne le voulait. Si t’avais vu la vitesse à laquelle ces deux-là se sont aimés ! tu les regarde et t’as l’impression qu’ils se connaissent depuis toujours. Et c’était comme ça le soir même de l’adoption! Quand tu vois M. Hébert parler à son chien, c’est qu’il lui explique tout ce qu’il voit. Des fois, j’ai l’impression que le chien comprend, c’est pas des farces ! Jamais il ne trébuche, il n’a pas l’air aveugle du tout ! Tout comme pour sa femme Denise, M. Hébert donne à son chien les couleurs d’un tableau réel sans même qu’il ait à voir quoi que ce soit. Il a ce dont de colorer une vie de générosité, de compassion et d’amour. Il pixelise l’imaginaire et notre cœur devient plus rouge que jamais. »


Quand ma mère s’est arrêtée de parler, je la fixais, ému non seulement de la poésie de sa voix, mais aussi de la couleur des actions de M. Hébert. Je me rendais compte que je passais souvent, très souvent même, à côté de la beauté des choses et ce, dans une seule journée. J’ai commencé à regarder autour de moi, comme ma mère le fait toujours… Vous savez, ces vidéos sur Internet où l'on nous présente des gens daltoniens à qui on a donné ces lunettes spéciales « Archroma » et qui découvrent enfin les couleurs comme nous les voyons ? J’avais l’impression de vivre la même chose. Le vert du gazon, le bleu du ciel, les couleurs variées des fleurs… Puis, le bleu des yeux de ma mère, la couleur de ses vêtements. La couleur de mon café, le blanc de la crème à côté, les fruits dans le bol sur la tale… Tout était magnifique ! Se concentrer que sur la couleur, oublier le reste…


Plus tard, quand je suis retourné chez-moi, sur la route, je voyais tout différemment. Et c’est comme ça depuis ces deux derniers jours. J’entre à l’épicerie, dans une boutique, chez le fleuriste, et c’est comme si je voyais l’odeur, j’écoutais les couleurs et je sentais l’harmonie de tout ça. Je pense à M. Hébert qui met de la couleur dans la vie des autres. Grâce à des gens comme lui, rien n’est invisible.


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